Le Son de la Terre est une chronique animée par Jérôme Sueur avec l'aide d'enregistrements des contributeurs de la sonothèque du Muséum national d'Histoire naturelle, d'audionaturalistes, et de scientifiques internationaux.
Chaque lundi à 14h50 dans la terre au carré sur France Inter.
Le son de la terre du lundi 24 aout 2020: le chant des cigales (écoutez ici)
La » brume sonore » des cigales de Marcel Pagnol, la quatrième dimension de la Provence, le symbole des félibres, la vibration des garrigues et des pinèdes. Je voudrais donc commencer par la grande maîtrise des cigales de France, commencer par le chant de l’été qui finit bientôt.
Ne pas oublier que pendant tout cet été, bien trop chaud, des centaines de milliers de cigales mâles ont répété sans fatigue leur chant dans l’unique but de se reproduire après plusieurs années passées sous la forme d’une larve entre les racines des oliviers et des amandiers.
Ne pas oublier que ces mâles invisibles savent se faire entendre par l’action d’un appareil sonore sans aucun équivalent dans le règne animal : une paire de cymbales logées à la base de l’abdomen, des cymbales du sud-ouest en forme de ballon de rugby qui vibrent comme nulles autres pareilles.
Sait-on pourquoi le chant des cigales grésille ?
Le chant des cigales, qui peut durer des heures, est en réalité composé de suites de toutes petites impulsions sonores. Ces impulsions sont dues à la déformation de baguettes rigides portées par ces fameuses cymbales. Ces petites impulsions, d’une milliseconde environ, ne sont jamais exactement les mêmes - un peu plus longue, un peu plus courte. Cette instabilité temporelle, ou non linéarité pour utiliser un gros mot scientifique, produit une forme de bruit fréquentiel, ce grésillement inoubliable. C’est également ce petit défaut qui serait en partie à l’origine de la puissance du chant des cigales, comme cette cigale baudruche, ou la cigale vessie - c’est comme on veut - du bush australien qui frôle les 100 dB à 1 mètre de distance grâce à un large ventre vide. La légèreté d’une plume, la puissance d’un avion.
Ne pas oublier que cette excitation désordonnée passe des cymbales au ventre de la cigale qui, vide comme une grotte, vibre alors en résonance et amplifie le son, un peu comme une enceinte. Mais, ce n’est pas tout, l’incroyable arrive après. Les vibrations de l’abdomen ressortent par une voie bien étonnante, elles ressortent par les tympans ! Le son des cigales passe donc par leurs oreilles !
Grâce à des vibromètres lasers qui permettent de mesurer et visualiser de tout petits mouvements, il est possible de voir ces tympans vibrer : les tympans sont traversés par des trains d’ondes qui arrivent toutes au même endroit, vers une baguette où sont attachés les premiers neurones de l’oreille. Ces ondes ressemblent à des vaguelettes qui s’écrasent sur une plage, mais l’échelle est différente puisque ces vagues ne font que quelques nanomètres, soit 0,0-0-0-0-0-0-0-0-1 m.
Que se passe-t-il pour ces pauvres cigales ? Comment supportent-elles leur propre chant ?
Comment éviter en effet la migraine ? Il existe dans leurs oreilles un tout petit muscle qui plisse la membrane du tympan et donc réduit leur sensibilité à leur propre chant. Le timbalier de l’Orchestre de Radio France peut faire la même chose avec la petite clé qui lui sert à accorder la membrane de ses timbales. Grâce à ce petit muscle, les cigales se protègent de leur propre chant. Et si nous avions, nous aussi, cette capacité à fermer les écoutilles ? Faire la cigale, chanter et écouter au soleil sous le soleil blanc d’un ciel sans avions, écouter, par exemple, cette autre ambiance sonore également captée par Fernand Deroussen.
Enfin ne pas oublier, que les chants des cigales ne sont pas que des mécanismes ou des chiffres. Ils sont des paysages, des odeurs, des sensations, des souvenirs proches - cet été par exemple - ou des souvenirs lointains. Je me souviens justement du chant rapide de cette cigale furtive traçant son vol entre les pierres brûlantes de Palmyre, dans l’ancienne Syrie, celle d’avant-guerre. Et je me souviens des cigales du soir dans la forêt mexicaine. Partout, comme le chantait le félibre Maurice-Louis Faure, « La cigale s’endort comme meurt un poète / Lasse d’avoir vécu, fière d’avoir chanté. »
Fermez les yeux, ouvrez les oreilles, ça ira mieux.
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