Voilà le son de la savane, la trompe en avant ... dans le son de la Terre de Jérome Sueur , en partenariat avec le MNHN
Quel son majestueux, un son royal devant lequel on ne fait pas le mariole ー je peux vous le confirmer ー un son devant lequel on se tait, on se courbe et on tremble tout à la fois de peur et d'admiration absolue. L'éléphant en impose par sa hauteur, son poids, sa tonitruance mais il impressionne tout autant par sa discrétion, sa grâce, sa fragilité et son silence. L'éléphant semble n'avoir peur de rien, de ne jamais reculer, même pas devant une souris.
Et pourtant voici ce qui lui fait peur : des abeilles ?
Oui, car sa majesté craint l'abeille, un simple petit hyménoptère, il est vrai un rien susceptible et venimeux. Les abeilles peuvent être détestables quand elles piquent des parties sensibles des éléphants : la fine peau de leur ventre, l'arrière de leurs grandes oreilles, la face inférieure de leurs trompes et, bien sûr, leurs yeux.
Et que font les éléphants quand ils sont attaqués par des abeilles ?
Quand ils rencontrent des abeilles sur leur chemin, les éléphants montrent des comportements de fuite, s'éloignant rapidement des essaims.
Des expériences acoustiques ont démontré que seul le bourdonnement des abeilles était suffisant pour faire battre en retraite les éléphants. A l'écoute du son d'abeilles énervées, les éléphants arrêtent leurs activités, lèvent la tête, ouvrent les oreilles et finissent par s'éloigner.
Les éléphants sont donc capables d'associer le son des abeilles à un danger. Cette réaction résulte d'un apprentissage par une expérience individuelle de piqûres ou d'un apprentissage collectif par l'observation de congénères eux-même attaqués.
Durant ces réactions de fuite, certains individus peuvent produire des barrissements très graves comme celui-ci : Ces barrissements sonnent la présence d'un problème. Ils fonctionnent comme des signaux d'alarme : "attention, abeilles !". La diffusion d'un tel barrissement avec un haut-parleur en l'absence totale d'abeilles déclenche des comportements de fuite similaires à ceux observés lors d'attaques. Les caractéristiques fréquencielles de ces signaux traduisent le degré d'urgence du danger : plus les barrissements sont aigus, plus il faut réagir vite.
Il existe donc des problèmes entre éléphants et abeilles, mais est-ce qu’il n’y a pas aussi des problèmes entre les éléphants et les hommes ?
L'essor des populations d'éléphants dans certaines régions a conduit à une augmentation des conflits entre les pachydermes et les hommes qui, eux aussi, sont plus nombreux et étendent leurs terres agricoles.
Les comportements de fuite face aux abeilles ont été observés au Kenya chez les éléphants de savane mais aussi en Afrique de l'Ouest chez les éléphants de forêt et en Inde chez les éléphants d'Asie. Les abeilles sont donc apparues comme une solution économique, universelle et écologique pour éloigner les éléphants des hommes et de leurs cultures.
Des clôtures de ruches sont ainsi installées autour des champs repoussant les éléphants et remplaçant des techniques d'effarouchement moins efficaces comme des barrières électriques, des feux, des buissons épineux ou des chiens.
Les abeilles gardiennes assurent en même temps la pollinisation des plantations et produisent du miel pour les agriculteurs.
C'est donc maintenant aux agriculteurs d'éviter les piqûres sur le ventre ou le bout de la trompe.
Le son de la Terre, une chronique de Jérôme Sueur en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle et avec pour cette chronique des enregistrements de Boris Jollivet et de Lucy King.