Paru le 18 juin 2024 dans la rubrique « A vos questions » du journal The Conversation, l’article de Julien Collot UBO, David Baratoux, Pierre-Yves Le Meur IRD et Sarah Samadi ISYEB.
Chaque semaine, Los scientifiques répondent à vos questions. RUBRIQUE A VOS QUESTIONS
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Les grands fonds marins et l’espace apparaissent comme les dernières frontières de l’humanité. Ces objets lointains et difficiles d’accès fascinent, au-delà de leurs différences. Est-il vrai que l’on connaît mieux l’espace que les fonds marins ? Comment les explore-t-on, et en réponse à quelles motivations ? Ce que l’on sait ou ne sait pas dépend à la fois des moyens mis en œuvre (comment on regarde) et des questions que l’on se pose (ce que l’on regarde ou cherche). Ces interrogations renvoient à la vocation exploratoire de la science que sa bureaucratisation actuelle tend à faire oublier.
La Terre est couverte à 70 % d’océans avec une profondeur moyenne de 3 700 m. Regardez avec un masque depuis la surface, vous ne verrez le fond que s’il y a moins de 10 m d’eau, regardez le ciel, les photons qui vous parviennent ont pu traverser des millions d’années-lumière ! L’eau est la principale barrière à la connaissance des fonds marins : les ondes électromagnétiques (lumière, lasers, ondes hertziennes) y sont très vite absorbées, alors qu’elles se propagent sur des distances immenses dans l’espace.
On ne peut donc caractériser les océans que de manière indirecte depuis des navires, à l’aide de sondeurs acoustiques ou par le prélèvement d’échantillons obtenus à l’aide d’outils suspendus à un câble. Ponctuellement, on utilise des submersibles habités ou robotisés qui n’observent qu’à une dizaine de mètres autour d’eux au moyen de puissants projecteurs. En 2023, seuls 25 % des reliefs des fonds marins avaient été cartographiés par méthodes acoustiques.
Ce type de navire permettant les cartographies n’avance qu’à 5 km/h, il faudrait donc trois siècles pour couvrir les fonds marins intégralement à ce rythme. Dans les années 1990, une nouvelle méthode a permis d’estimer grossièrement la profondeur des océans à partir des petites variations de l’altitude de la surface de l’eau, mesurée par des satellites (l’altimétrie). Ce sont les cartes que nous consultons dans Google Earth.
Cartographie des reliefs des fonds marins – la bathymétrie. En 2023, environ 25 % des fonds marins étaient cartographiés à une résolution de 50m/pixel. En noir : zones non cartographiées. Programme international Gebco de cartographie des fonds marins qui vise à rassembler l’ensemble des données bathymétriques mondiales pour améliorer la connaissance des océans, Fourni par l’auteur
Pour satisfaire votre curiosité :
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Partout où l’on cherche, on découvre des organismes originaux. L’exploration des grands fonds révèle par exemple des animaux bien vivants dont les plus proches parents sont des animaux fossiles – donc disparus – connus eux depuis longtemps dans les couches sédimentaires sur les continents ! On y a aussi découvert à la fin des années 70 qu’il n’y a pas que la photosynthèse qui est la source primaire de la matière vivante. Ainsi, au pied des cheminées hydrothermales profondes, qui émettent des fluides chauds et “toxiques”, des oasis de vie prolifèrent grâce à des bactéries chimiosynthétiques capables de produire de la matière organique sans lumière. Depuis, la chimiosynthèse a également été observée dans des milieux côtiers mais aussi terrestres et même dans l’atmosphère !
Images obtenues lors de la campagne Kanadeep2 à l’aide du robot Victor6000 à 2 768m de profondeur sur la ride des Loyauté (Sud-Ouest Pacifique) lors de la plongée n°741. La première image montre un rocher couvert d’animaux (coraux, éponges, ascidies, échinodermes, etc.). La seconde image montre les bras du robot utilisé pour échantillonner ces animaux. Kanadeep2, doi 10.17600/18000883, Fourni par l’auteur
La découverte de l’espace
Concernant l’espace, l’envoi de la sonde Soviétique Luna 1 en 1959 marque le début de l’exploration spatiale du Système solaire. 60 ans plus tard, les huit planètes du Système solaire ont toutes été visitées par une sonde spatiale, ainsi que les plus gros satellites des planètes géantes. Ces sondes ont produit des images des paysages extra-terrestres, inhabitables, mais incroyablement variés.
Dunes de sable observées par l’instrument HiRISE de la mission Mars Reconnaissance Orbiter (MRO). Résolution : 25 cm/pixel. A cette résolution, il est possible d’observer les petites rides sur les dunes, et même le déplacement des dunes sur quelques années seulement (largeur de l’image : 1 km). NASA/JPL-Caltech/UArizona, Fourni par l’auteur
L’exploration au moyen de caméras depuis l’espace s’est rapidement enrichie d’instruments permettant de cartographier la nature des matériaux (composition chimique, minéralogique, recherche de molécules organiques) tandis que l’exploration in-situ se développe (atterrisseur, puis véhicules capables de rouler, et tout récemment un petit hélicoptère), pour toujours plus de mobilité pour l’exploration. Il est possible de réaliser des cartes géologiques de toute planète rouge sans qu’aucun homme n’ait foulé son sol.
Nos connaissances du système solaire proviennent aussi de météorites, arrachées par des collisions (impacts) et qui finissent leur voyage interplanétaire à la surface de notre planète. Des missions spatiales sont aussi dédiées à la collecte d’échantillons. Ce fut le cas des missions Apollo sur la Lune, et plus récemment de la mission OSIRIS-REx qui a pu ramener sur Terre un échantillon de l’astéroïde Bennu. Bientôt, ce sera le tour de Mars.
Les sondes spatiales ont atteint des distances considérables. La sonde New Horizons, après avoir survolé Pluton, est allée aux confins du Système solaire (à plus de 6 milliards de km de la Terre) fournir des images d’un petit astéroïde (Arrokoth) en forme de bonhomme de neige qui nous raconte les premiers instants de la formation des planètes. Mais il reste beaucoup à explorer, à la recherche d’environnements peut-être habitables. Des milliers de corps dans le système solaire (astéroïdes, petits satellites des planètes géantes) sont uniquement connus à partir de la lumière qu’ils reflètent du Soleil. Les distances parcourues paraissent déjà immenses, mais aucune sonde spatiale construite par l’homme n’a vraiment quitté la zone d’influence du Soleil, même si Voyager 1 et 2 sont bel et bien en route pour le milieu interstellaire. Pour atteindre l’étoile la plus proche de nous, ce ne sont pas quelques milliards de kilomètres qu’il faut parcourir, mais 40 000 milliards ! Il ne nous est pour l’instant pas possible d’explorer directement l’espace au-delà du système solaire autrement que par la lumière que les objets qui peuplent l’univers nous renvoient.
Au plan cartographique, il est exact de dire que l’on connaît mieux la surface des astres du système solaire que les fonds marins. Les moyens alloués aux premiers sont plus importants (2 milliards d’euros sont allés à l’exploration spatiale en France en 2020, contre 0,4 milliards pour les fonds océaniques). Au-delà du Système solaire, les prouesses technologiques permettent de voir quelques détails à la “surface” des étoiles, et de révéler la nature rocheuse ou gazeuse des exoplanètes, mais nous sommes très loin d’avoir cartographier les centaines de milliards d’objets qui peuplent notre galaxie.
Il faut le réaffirmer ici, la science est largement affaire d’exploration et il est indispensable de cultiver cette dimension fondamentale. Cette exploration est intimement liée à la recherche des origines de la vie, même si d’autres enjeux, économiques ou géopolitiques, motivent aussi ces recherches. Les molécules organiques découvertes en dehors de notre planète ou les processus bio – et géologiques identifiés dans les environnements obscurs des fonds marins interrogent sur la capacité de la vie à se développer ailleurs et partout dans l’univers. L’exploration de l’espace et des fonds marins ne s’opposent pas, elles sont complémentaires, et se nourrissent l’une l’autre pour comprendre nos origines, repenser notre présent et dessiner notre futur !
Collot Julien, Enseignant chercheur en géosciences marines, Université de Bretagne occidentale ; David Baratoux, Geologist, Institut de recherche pour le développement (IRD); Pierre-Yves Le Meur, Anthropologist, Senior Researcher, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Sarah Samadi, professeur en biologie évolutive, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.