Marc-André Selosse, Professeur à l’ISYEB présente chaque mercredi à 14h50 sa  » Chronique du vivant » sur France Inter Il nous fait découvrir comment le vivant structure nos vies et notre environnement sous l’égide du Muséum national d’Histoire naturelle

Des fléaux venus… d’Amérique. La vigne a été domestiquée à l’est du bassin méditerranéen : des jarres âgées de 8000 ans, en Géorgie, conservent des traces de fermentation de raisins. C’est assez paradoxal que la vigne ait été domestiquée dans cette région !

Pourquoi paradoxal ?

Parce que c’est là que le genre Vitis, auquel appartient notre vigne, est le moins diversifié ! Il n’y a qu’une espèce dans nos régions, Vitis vinifera, contre 39 espèces en Extrême-Orient et 31 en Amérique ! Donc, nous avons adopté la vigne là où elle était la moins diversifiée. C’est aussi la cause de nombreux ennuis : venue d’Asie vers l’Europe, notre Vitis vinifera avait échappé aux pathogènes qui attaquent les autres espèces de vigne… Mais nos échanges commerciaux leur ont permis de rappliquer eu Europe, sur une vigne qui avait baissé sa garde…

Comment cela ?

En Amérique existent des parasites des espèces de vigne locales. Parmi ces vignes, une longue coévolution avait éliminé les individus les plus sensibles et sélectionné des résistances adaptées aux parasites : racines fibreuses et peau des raisins épaisses, par exemple, que n’a pas Vitis vinifera. Les premiers colons tentèrent d’introduire notre vigne en Amérique : mais elle ne poussait pas… Au point que , dépités, ils avaient entrepris de domestiquer des vignes locales, comme le cépage ‘Isabella’ Vitis labrusca. Ils avaient aussi réalisé des croisements entre vigne européenne et américaines qui, héritières des gènes des parents américains, résistaient aux maladies locales !

Au XIXème siècle, les échanges commerciaux introduisent ces maladies en Europe. Parmi les champignons, tout commença avec l’oïdium de la vigne vers 1845, suivi du phylloxera en 1861, du mildiou en 1878, puis du black-rot en 1885. Parmi les bactéries, la flavescence dorée est apparue dans les années 1950 : cette bactérie est d’Europe, où elle infecte des aulnes, mais c’est un insecte parasite introduit d’amérique, une cicadelle, qui l’a transmise à la vigne.

Et c’est grave, ces maladies ?

Parce qu’elle n’a pas évolué avec ces parasites, notre vigne y est très sensible. Entre 1850 et 1854, l’oïdium fait chuter la production de vin de 75% ! Avec des fongicides dont on dépend toujours, comme la bouillie bordelaise, c’est-à-dire du sulfate de cuivre, la production se rétablit. Arrive alors une étrange maladie : les feuilles de la vigne sèchent, on parle de phylloxéra (en grec, cela veut dire feuilles séchées) ; apparue vers 1860, elle fait chuter la production de 70% entre 1875 et 1880 !

Quelle est la cause, cette fois ?

Un puceron, importé d’Amérique, le Daktulosphaira vitifoliae. Il a été importé, avec d’autres maladies, sur des vignes américaines ramenées… pour étudier leur résistance à l’oïdium, figurez-vous ! Les traversées à la voile étaient fatales à l’insecte. Mais la marine à vapeur ayant accéléré le voyage, quelques individus survécurent. C’était ces pucerons qui empêchaient la vigne européenne de pousser en Amérique ! Introduits en France, ils gagnent l’Europe puis, de là, le monde entier, créant une crise majeure.

Je vous dirai la semaine prochaine comment on est sorti du phylloxéra. Mais il est clair que la mobilisation de la résistance des vignes américaines fut… le premier accident de lutte biologique ! En ramenant des plantes ou des méthodes de lutte issues d’autres écosystèmes, on ramène parfois… des maladies !

C’était la « chronique du vivant » de Marc-André SELOSSE, en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle

 
 
Published on: 13/04/2021 15:17 - Updated on: 16/04/2021 09:42

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