Paru le 12 Octobre 2018 - Romain Garrouste, Institut de Systématique Evolution Biodiversité (ISYEB) - Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Université

 

 

Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2018 dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr et dans le cadre de la rubrique « En direct des espèces » présentée par les chercheurs de l’ISYEB (Institut de systématique, évolution, biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité. Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.

En octobre 2016, nous signalions la découverte fortuite de la punaise diabolique Halyomorpha halys à Paris, espèce hautement invasive, pendant la rédaction d’un ouvrage sur les hémiptères. En ce début d’automne 2018, elle semble être partout en France, et notamment dans Paris et une partie de la banlieue (KB, etc.). La punaise diabolique ? C’est ce gros insecte gris qui tente d’entrer par vos fenêtres ou se trouve déjà chez vous caché quelque part.

Grâce à un programme de sciences participative lancé par l’Inventaire national du patrimoine naturel (une structure du Museum national d’histoire naturelle), l’INRA, et le soutien de l’ITE-SU de Sorbonne Université nous sommes en train d’essayer de comprendre les modalités de cette invasion.

Depuis la moitié du mois de septembre, nous sommes submergés d’appels et de signalements de la part d’habitants de presque tous les arrondissements de Paris et de nombreux départements en France, du nord au sud. C’est en effet pour cette punaise, la période de recherche de sites d’hivernation des adultes. Nos maisons bientôt chauffées et abritées sont parfaitement accueillantes.

Et pourtant, la problématique de cette punaise invasive semble ne pas mobiliser les décideurs de nos villes ou de nos territoires. Pourtant c’est bien dans les centres urbains que l’augmentation rapide des populations de Halyomorpha halys, avec ses nuisances associées, est en train de se mettre en place. Parfois, les inquiétudes se transforment en angoisse pour certains citadins phobiques. Mais qui ne serait pas effrayé lorsque des dizaines de ces punaises s’invitent sur vos balcons et jardins, et cherchent à rentrer dans vos maisons en cette saison automnale, après avoir pondu sur vos plantes favorites ? Des centaines ont été vues dans un jardin à Neuilly ou dans le Var, début octobre. Et que l’on sait que l’invasion peut être encore plus intense, comme cela a été observé aux États-Unis.

L’impact pour les cultures, majeur concernant cette espèce, devrait se voir rapidement dans les vergers de pommiers, poiriers, pêchers, les cultures maraîchères, le maïs, la vigne, le soja… La liste des cultures potentiellement impactées est impressionnante. On l’a en tout cas repéré dans des vergers de la vallée du Rhône et la punaise a peut-être commencé à sévir ailleurs en France, sans qu’on le sache encore. C’est ce qui a été observé un peu partout dans le monde avec des incidences économiques très importantes, augmentation radicale des traitements chimiques et nécessité de changer les pratiques culturales.

Les publications se multiplient sur les dégâts en Italie, USA, Europe, Asie, et des premiers signalements en Amérique du Sud. Des travaux sont réalisés un peu partout pour trouver des méthodes et des stratégies de lutte, des piégeages efficaces, des agents de lutte biologique. Pas à notre connaissance en France.

Goût de punaise

Mi-septembre j’ai observé des individus sur de la vigne dans le Var. Observations faite avant et après la vendange, mécanique : des punaises viennent « grapiller » après la récolte et continuent de se développer. Et leur passage dans les machines à vendanger ? Le goût de la punaise va-t-il se rajouter au goût des pesticides ?

Punaise adulte sur raisin (Var, septembre 2018). Romain Garrouste, Author provided

L’exemple des vergers de noisetiers en Italie et en France, également en Asie-Caucase (Turquie et surtout Géorgie est édifiant. Dans ce dernier pays, la punaise diabolique est responsable de pertes presque totale de récolte, au grand dam de la société Ferrero (quand vous penserez au Nutella, vous y associerez la punaise diabolique qui a déclaré la guerre aux noisetiers pour l’industrie agroalimentaire). Il y a un plan national de lutte contre cette espèce, avec l’aide des États-Unis et des piégeages massifs ont été réalisés. Lassée des noisetiers, la punaise a alors dévasté les champs de maïs.

Maintenant c’est l’Abkhazie proche qui fait les frais de l’invasion.

Que faut-il savoir sur la punaise diabolique ?

Il s’agit d’une grosse punaise brun-gris qui se nourrit de la sève des végétaux, sur les feuilles, fruits, bourgeons : plus de 120 espèces hôtes connues, notamment des arbres, peuvent servir d’hôte pour sa reproduction.

À Paris, ce sont les Paulownia, les Ailanthes, les frênes et en théorie les érables (non encore observé) mais aussi les « lauriers cerises » (Prunus laurocerasus mais en fait sur tous les Prunus cultivés) qui servent d’abri (hôte) à cet insecte indésirable. Et bien sûr les noisetiers. Elles semblent aussi affectionner les façades avec de la vigne vierge.

C’est une espèce très adaptable, mobile (larves), volant facilement (adultes). Probablement avec deux générations par an à Paris et autour de 200 œufs par femelles. Après la période de reproduction, les adultes vont entrer en hivernation et cherchent un abri pour l’hiver. Mais ils n’aiment pas la solitude et se rassemblent parfois massivement devants les fenêtres, sur des bâtiments, les maisons, s’introduisent dans les intérieurs où ils se logent dans les encadrements de fenêtres, derrière les tableaux, sous les tapis, etc. Dans les bâtiments du Jardin des Plantes à Paris on en retrouve çà et là presque tout l’hiver. On les retrouve ensuite au printemps à l’intérieur devant les fenêtres où elles cherchent à sortir pour aller se reproduire.

Elle est inoffensive pour l’homme (elle ne pique pas, ne transmet pas de pathogènes), peut être manipulée à la main, mais les rassemblements importants peuvent générer des allergies, y compris chez les animaux domestiques. Par exemple lorsque plusieurs punaises déclenchent leurs défenses chimiques. C’est la fameuse odeur de punaise que tout le monde connaît et qui est déjà intense à l’échelle d’un individu ; imaginez des dizaines de punaises voire plus qui les déclenchent ensemble.

Ne pas confondre avec les espèces natives

L’une des raisons de la détection tardive de cette espèce tient à sa ressemblance avec plusieurs espèces natives de punaises. Cette ressemblance, poussée dans le cas de la punaise Raphigaster nebulosa, qui adopte le même comportement en ce début d’automne a certainement été un facteur retardant dans sa détection. Ou de son caractère silencieux. Dans nos données « citoyennes », environ 15 % des signalements concernent cette espèce. D’autres espèces moins ressemblantes sont quelquefois confondues.

En absence de programmes d’étude adapté à chaque contexte, notamment urbain, il faut bien pouvoir répondre aux questions, notamment : « comment puis-je m’en débarrasser ». Dans le cadre de l’entomologie appliquée, des méthodes sont testées, voire des formulations de pesticides adaptées. Comme nous l’avons dit il s’agit d’insectes inoffensifs excepté lors des grands rassemblements et il est possible de les manipuler à la main pour les rejeter à l’extérieur, ou les détruire mécaniquement. Comme il s’agit d’une espèce invasive et potentiellement nuisible, il semble acceptable de limiter leurs populations, mais sans polluer son intérieur, son jardin, les espaces verts publics et privés, ainsi que les cultures.

Le recours aux insecticides présente toujours le danger de l’intoxication des personnes, et celui de l’environnement. Une phéromone d’agrégation a été synthétisée et est utilisée pour le piégeage. On pourrait imaginer une application de cette méthode de lutte non polluante dans les villes où la punaise diabolique prend ses aises depuis maintenant plusieurs années sans être le moins du monde inquiétée.

Pour l’instant nous sommes démunis face à l’invasion et une certaine passivité des décideurs. Alors, participez aux inventaires, nous avons besoin de naturalistes-citoyens !

L’auteur remercie vivement les personnes qui se sont manifestées dans le cadre du programme de sciences participatives de recueil de données sur la punaise depuis son lancement par l’INPN (programme EEE-FF) et l’INRA. Merci d’avoir pris le temps de nous contacter et d’envoyer des images pour permettre d’authentifier la punaise diabolique, fort ressemblante avec quelques espèces natives à ne pas confondre (et à laisser tranquille). Le programme est toujours d’actualité et nous enregistrons toujours les signalements (départements de l’ouest et du centre par exemple). Et recherchons des images de pullulations spectaculaires.

Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 MNHN-CNRS-UPMC-EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Published on: 12/10/2018 16:05 - Updated on: 16/10/2018 15:33