Le Son de la Terre est une chronique animée par Jérôme Sueur, écoacousticien à l'ISYEB, avec l'aide d'enregistrements des contributeurs de la sonothèque du Muséum national d'Histoire naturelle, d'audionaturalistes, et de scientifiques internationaux. Ces petits fragments d'histoire naturelle sonore mettent en lumière la diversité des comportements acoustiques de la vie animale et des paysages sonores naturels tout en dénonçant les activités humaines qui peuvent les affecter. De l'insecte à la baleine, des fonds marins à la canopée tropicale : les échos de la nature voyagent sur les ondes radio !

Aujourd'hui nous traversons l'Atlantique pour nous faufiler dans la forêt tropicale de Guyane, sur la montagne de Kaw avec ce très bel enregistrement issu du projet art-science Codex-Amphibia mené par le musicien Thomas Tilly et le chercheur du CNRS Antoine Fouquet. 

Ce sont des grenouilles, n’est-ce pas ?

Oui, il s'agit du chœur de Leptodactylus knudseni. Cette grenouille, comme de nombreuses autres espèces, prend son temps  pour se reproduire, elle opte pour une stratégie à reproduction  prolongée. Souvenez-vous, je vous ai déjà parlé de cette stratégie en  évoquant les rainettes japonaises de l'archipel Oki.

 

 

 

Une rainette

À écouter  -   Environnement La chronique de Jérôme Sueur

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Cependant, en Guyane, mais aussi dans d'autres contrées du monde, certaines  grenouilles optent pour une autre stratégie : la reproduction explosive. 

 

Ces espèces se reproduisent le plus souvent  dans des sites éphémères, typiquement une mare qui se forme à la saison  des pluies et qui disparaît très vite. L'habitat adéquat pour la  reproduction est donc très limité dans le temps : il faut faire vite et bien pour se reproduire. Cette contrainte  écologique conduit plusieurs espèces à se retrouver au même endroit, en même temps, en très grand nombre.

Bref, du quick sex collectif.

Qu’est-ce que cela donne acoustiquement ?

 

C'est alors une véritable explosion de vie sonore que restitue ce second enregistrement de Thomas Tilly...

Cette fois-ci, ce sont les chants d'une dizaine d'espèces par des milliers d'individus en rut qui se superposent.

 

Le crapaud sonneur à ventre jaune, espèce protégée, serait menacé par le projet de construction d'une église à Saint-Pierre-de-Colombier

A écouter : Environnement La Grenouille et le Clocher - Épisode 1 : Dimitri

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“Une énorme gare amoureuse et sans lumière, pleine à craquer. Des arbres entiers bouffis de gueuletons vivants, d’érections mutilées, d’horreur.” racontait Céline, qui n’aimait pas grand monde, dans Voyage au bout de la nuit.

C'est en effet une forme d’orgie sonore à laquelle nous assistons, un phénomène unique au monde, difficilement supportables pour nos oreilles.

 

Mais est-ce qu’il y a une forme d’organisation, comme un orchestre dans ce tintamarre ?

J'ai déjà évoqué l'idée que les grenouilles chantant dans la même mare montraient une certaine organisation sonore, chaque espèce occupant une plage fréquentielle qui lui était propre. L'hypothèse est ici séduisante : l'évitement sonore devrait être là,  minimisant les risques d'erreurs entre individus d'espèces différentes.

 

Mais  l'enregistrement et l'analyse de ces chœurs conduite par Juan Ulloa de l'Institut Humboldt a montré exactement le contraire : il y a en réalité une concentration des chants dans la même  bande de fréquence entre 3 et 4-5 kHz. La séparation acoustique des  espèces ne semble pas pouvoir se faire par étagement fréquentiel.

Et comment les espèces se retrouvent-elles ?

Antoine Fouquet et Thomas Tilly ont conduit une expérience nocturne sur place avec des haut-parleurs installés dans la forêt à côté des sites de reproduction. Antoine et Thomas ont diffusé des chants de Trachycephalus coriaceus, une espèce qui se reproduit exclusivement dans ces grandes mares éphémères.

 

Les expériences montrent que la diffusion artificielle de ce chœur attire les individus de leur propre espèce - ce qui est tout à fait attendu - mais qu’elle attire également d'autres espèces - ce qui est bien plus exceptionnel. Le chant de Trachycephalus coriaceus sert donc de phare sonore dans la nuit tropicale pour elle-même et les autres espèces pour cette rave party amazonienne.

Tout cette histoire de grenouilles folles me fait d'ailleurs penser à un dicton baoulé de Côte d'Ivoire: "Le crapaud ne mord pas, mais ça n'est pas une raison pour le mettre dans son caleçon.".

Fermons les yeux, ouvrons les oreilles, ça sera bien.

Le son de la Terre, une chronique de Jérôme Sueur en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle et sa sonothèque et avec, pour cette chronique, des enregistrements de Thomas Tilly et les travaux du chercheur Antoine Fouquet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié le : 30/11/2020 16:34 - Mis à jour le : 30/11/2020 17:01

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