Le son de la Terre, une chronique de Jérôme Sueur de l'ISYEB en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle et sa sonothèque.
Quel est ce son, un oiseau ou bien un singe peut-être ?
Oui, c'est un singe. En réalité, ce sont deux singes, un mâle et une femelle de gibbon de Müller (Hylobates muelleri), ici enregistrés à Bornéo par Dena Clink de l'Université de Cornell aux Etats-Unis.
La plupart des gibbons établissent des duos sonores dans lesquels mâles et femelles alternent leurs vocalisations selon une coordination bien réglée, si bien que l’on ne distingue plus le mâle de la femelle.
Ces duos serviraient plusieurs fonctions : la rencontre des partenaires, le renforcement de leurs liens et la défense coopérative d'un territoire commun.
Les oiseaux forment-ils aussi des duos comme les gibbons ?
Quand on cherche un peu, on s'aperçoit que les duos existent chez de nombreux animaux : les mammifères comme on vient de l'entendre, mais aussi les grenouilles, les insectes et, en effet, les oiseaux.
Cette existence de duos, et donc de chants produits par les femelles, illustre un petit point d'histoire des sciences. Un article récent met en effet en lumière un biais de genre important : 68 % des articles traitant du chant des oiseaux femelles sont dirigés par des femmes alors que ce pourcentage chute à 44 % quand il s'agit d'articles généraux sur le chant des oiseaux. Ce sont les chercheuses qui font donc avancer notre connaissance du chant des oiselles.
Les duos chez les oiseaux sont surtout observés chez les espèces monogames vivant sous les tropiques, comme le gonolek à ventre jaune (Laniarius atroflavus) enregistré au Cameroun, par un homme, Tomasz Osiejuk de l'Université de Poznań en Pologne :
Impossible de distinguer mâle et femelle. Mais pourquoi finalement chantent-ils ensemble ?
Chez cet oiseau, les duos représentent jusqu'à 25 % des vocalisations dont 80 % sont initiés par les mâles. Ce sont des duos relativement simples mais ils assurent des fonctions essentielles de défense de territoire, comme toujours, mais aussi de surveillance mutuelle du partenaire pour s'assurer qu'il ne va pas chanter et voir ailleurs.
Les duos du troglodyte maculé (Pheugopedius euophrys), un petit oiseau de la cordillère des Andes, en Amérique du Sud, sont acoustiquement plus complexes. Ce sont les femelles ce fois-ci qui initient et dirigent les duos, les mâles adaptant leur chant à celui des femelles. Voici un exemple enregistré par Remco Hofland à 3300 mètres d’altitude au Pérou :
Sait-on ce qu'il se passe dans les cerveaux de ces oiseaux durant ces duos ?
Il existe dans le cerveau des oiseaux chanteurs un noyau de neurones dédié à la production et à l'apprentissage du son. Ce centre nerveux s'appelle hyperstriatum ventral, pars caudalis ou plus succinctement HVc.
Eric Fortune et Melissa Coleman du New Jersey Institute of Technology aux Etats-Unis ont montré que les HVc des troglodytes maculés des deux sexes s'activent plus à l'écoute des duos que des solos. Ces résultats indiquent que les oiseaux ont en mémoire la structure des interactions acoustiques qu'ils forment et non uniquement l’organisation de leur propre chant. Leurs cerveaux sont comme connectés par la production du duo.
Le cerveau des êtres humains ne possède pas d'HVc, mais peut-être que des connections similaires s'établissent quand l'oiseleur Papageno engage, sous la plume enchantée de Mozart, un duo inespéré avec sa belle Papagena :
Le son de la Terre, une chronique de Jérôme Sueur en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle.
Réferences :
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