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Quel est ce son, Jérôme ? Peut-être un oiseau ?
Presque, c’est un animal volant, mais pas un oiseau. Il s'agit du saccoptère à deux bandes (Saccopteryx bilineata), une petite chauve-souris d’Amérique. Elle est ici en train de chasser des insectes dans la forêt tropicale du Costa Rica.
Les chauve-souris chassent en émettant des ultrasons dont elles écoutent et analysent les échos. Elles sondent ainsi par écholocation leur environnement et localisent leurs proies. Les ultrasons sont ici décalés vers des basses fréquences pour pouvoir les entendre, d’où une ressemblance trompeuse avec les oiseaux.
Mais est-ce que les chauve-souris utilisent uniquement le son pour l'écholocation ?
Non, certaines chauve-souris émettent aussi des sons pour communiquer. C'est particulièrement le cas de cette espèce très sociale dont les conversations sonores ont été enregistrées et décodées par Mirjam Knörnschild du Musée d'histoire naturelle de Berlin.
Cette chauve-souris émet des vocalisations dans des contextes très diversifiés, constituant ainsi un système de communication sophistiqué, certains diront même un langage.
La société de cette chauve-souris est construite autour de la polygynie : un mâle peut s’accoupler avec plusieurs femelles. Les mâles défendent farouchement leurs harems contre l'arrivée de rivaux comme ici avec ces cris :
Ces mêmes mâles courtisent hardiment les femelles par des signaux visuels, chimiques et évidemment acoustiques avec ces sons de cour.
Est-ce que ces chauve-souris apprennent à vocaliser ou bien est-ce un comportement inné ?
Les femelles donnent naissance à un seul jeune qu’elles maternent pendant environ 12 mois. Les jeunes produisent des cris d'isolement innés qui éveillent l’attention et les soins maternels.
Mais les autres sons sont appris par imitation des cris des adultes par un processus dit de babillage.
Chez les humains, le babillage est une forme d'exercice au futur langage articulé. Entre 6 et 10 mois, nos bébés émettent des sons rythmés et répétitifs montrant certaines ressemblances phonétiques avec le langage des adultes mais sans signification apparente. Le babillage est une forme d’apprentissage et de renforcement de nos liens avec nos bébés.
Il en est de même chez notre chauve-souris du Costa-Rica : les jeunes s'exercent et apprennent à parler chauve-souris en mélangeant des sons d'adultes, qu'ils soient d'écholocation, de défense du territoire ou de cour.
Cet entraînement se réalise sans aucun lien avec le contexte comportemental : les bébés chauve-souris restent accrochés la tête à l'envers quand ils babillent.
Et les parents alors, que disent-ils ?
Le babillage déclenche un autre comportement étonnant et bien connu aussi chez les humains. Face à un bébé, nous bêtifions un peu et nous changeons notre voix : la hauteur fréquentielle, la prosodie et le timbre sont modifiés.
Nous parlons le mamanais ou le langage bébé, une forme d'accent vocal qui exagère la structure lexicale et grammaticale favorisant l'apprentissage. Les mamans chauve-souris semblent faire la même chose. Elles modifient le timbre de leurs vocalisations quand elles s'adressent à leurs petits.
Ce changement d'intonation favoriserait de la même manière l'apprentissage vocal des jeunes et renforcerait aussi les liens entre mères et jeunes.
Pensez donc au babillage et au mamanais la prochaine fois que vous ferez gouzi-gouza avec vos bébés chauve-souris.
Le son de la Terre, une chronique de Jérôme Sueur en partenariat avec le Muséum national d'Histoire naturelle.
http://mirjam-knoernschild.org/
L’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité est une unité CNRS du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, ayant aussi pour tutelles l’Université Pierre et Marie Curie et l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.
L’UMR 7205 a pour objectif de répondre aux questions concernant l’origine de la biodiversité, les modalités de diversification des espèces, la mise en place des communautés animales en lien avec l’évolution spatio-temporelle des taxons. L’unité est un des pôles européens de systématique et contribue de manière importante à la taxonomie et à la biologie de l’évolution. Les approches de systématique phylogénétique privilégiées par l’unité sont intégratives et ont amené la conception d’outils taxonomiques, moléculaires, génétiques, acoustiques, cytogénétiques, morphologiques et morphométriques.
L’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité (ISYEB) succède à l’OSEB depuis le 1er Janvier 2014. Les laboratoires de l’Institut se trouvent au Jardin des Plantes dans des bâtiments situés rue Buffon et rue Cuvier (Entomologie, Mammifères et Oiseaux, Malacologie, Botanique, Reptiles-Amphibiens, Géologie).