On appelle souvent la forêt amazonienne, « poumon du globe » pour la défendre, parce qu’elle produit notre oxygène, mais c’est très maladroit. Un poumon ne produit pas d’oxygène !
Respirez un instant : votre poumon prend de l’oxygène… et libère du CO2.
C’est la respiration et c’est ce que, sous l’impulsion de la politique de Bolsonaro, fait la forêt amazonienne quand on la défriche et qu’on la brûle : consommer de l’oxygène et libérer du CO2. Si quelqu’un a compris le poumon, c’est hélas Bolsonaro ! Et on n’en veut pas du tout !
D’accord, me direz-vous : poumon du globe est une expression maladroite, mais enfin l’Amazonie produit de l’oxygène. Eh bien, même cela, c’est faux.
Chaque année, la photosynthèse amazonienne consomme du CO2 et produit de la matière végétale – avec, comme sous-produit, 13 milliards de tonnes d’oxygène ! Mais cette forêt ne grandit plus, elle est à maturité. C’est que chaque année, une quantité identique de matière organique (feuilles, fruits, troncs morts etc…) est consommée par des animaux, des bactéries et des champignons qui la respirent et consomment… 13 milliards de tonnes d’oxygène, aussi. Sur l’année, le bilan est nul, la respiration équilibre la photosynthèse.
Dans le détail, une petite partie de la matière organique produite est entraînée par des fleuves, comme le Rio Negro, aux eaux noires de matière organique. Dans le delta de l’Amazone, déposée dans des sédiments, une toute petite partie de cette matière organique sera coincée loin de l’oxygène de l’air et ne pourra être respirée : cela laisse un peu d’oxygène en plus dans l’atmosphère, mais vraiment très peu.
Imaginons qu’on brûle tous les arbres et qu’on les remplace par des cultures annuelles. Un collègue de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon, Pierre Thomas, a calculé que cela consommerait 0,035% de l’oxygène de notre atmosphère : autant dire, presque rien !
Juste : ne prenons pas les gens pour des imbéciles. Une vraie bonne raison de ne pas détruire la forêt amazonienne sera plus inattaquable ; nous avons tous le droit de comprendre les enjeux. La biodiversité amazonienne, ou le fait que la forêt appartient à des communautés indigènes dont on s’approprie les terres, voilà de bonnes raisons ! Il faut les utiliser.
Une autre bonne raison est le CO2. Il est plus rare dans l’atmosphère que l’oxygène, et le CO2 relargué par la conversion de la forêt amazonienne en champs cultivés aurait un impact fort. Mon collègue Pierre Thomas évalue que cela augmenterait la teneur en CO2 de 20% ! Un désastre pour l’effet de serre.
Ainsi, c’est l’existence de la forêt amazonienne qui compte. Non pas pour l’oxygène mais parce qu’elle constitue, comme on dit, un stock carbone : la forêt en place, c’est autant de CO2 en moins dans l’atmosphère.
Pas un poumon, comme dit notre président, mais bien plus précieuse encore ! Aucun politique n’aurait été aussi imprécis en économie ou en géopolitique. Pourquoi ceux qui pilotent notre avenir écologique peuvent-ils être approximatifs sur des enjeux pareils ? Car il y a là plus que de l’inexactitude. Quand on défend la forêt amazonienne pour sa biodiversité et pour le carbone stocké, on réalise qu’on peut en faire autant chez nous. On peut être exemplaire… au lieu de vouloir gouverner l’autre côté de l’Atlantique.
L’écologie exige du sérieux et de la compréhension ; c’est un moyen d’action : la semaine prochaine, on parlera de nos sols !
La « chronique du vivant » de Marc-André SELOSSE, en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle.
- Marc-André Selosse Professeur à l'ISYEB, Muséum national d'Histoire naturelle de Paris