Les montagnes d’Afrique sub-saharienne se caractérisent par une biodiversité unique que l’on ne trouve qu’à haute altitude et de manière extrêmement fragmentée au sein d’une matrice majoritairement constituée de forêts humides ou de savanes. Hotspots de biodiversité, ces « sky islands » ont suscité l’intérêt des biogéographes pour comprendre leur rôle dans les processus de spéciation ou du moins leur implication dans la persistance d’espèces bloquées par le réchauffement climatique depuis la dernière période glaciaire. Ces systèmes afro-montagnards constituent donc un modèle passionnant pour l’étude des processus et routes de colonisation entre massifs, et pour analyser le rôle des refuges climatiques et des flux de gènes dans la préservation de la diversité génétique de tels systèmes fragmentés et soumis à des changements climatiques drastiques. Au travers de projets successifs : IFORA (ANR-06-BDIV-0014), C3A (ANR-09-PEXT-001), VULPES (ANR-15-MASC-0003) et AFRIFORD (BR/132/A1/AFRIFORD), les regards paléoécologique et génétique se sont croisés pour reconstruire l’histoire de ces écosystèmes sentinelles.
Les recherches palynologiques menées au Cameroun depuis une dizaine d’années ont permis d’étudier la réponse adaptative des écosystèmes forestiers montagnards face à l’alternance glaciaire-interglaciaire. Il a été démontré, à partir d’une série temporelle exceptionnelle de 90 000 ans (lac Bambili), que les forêts de montagnes à Podocarpus milanjianus aujourd’hui présentes sur la ligne volcanique du Cameroun ne sont ni des refuges glaciaires ni des refuges contemporains et ont persisté à des extensions variables au même niveau d’altitude tout au long de cette période. Leur origine n’est donc pas glaciaire mais vient très probablement d’un passé plus lointain (Pliocène ? début du Pléistocène ?) comme en témoignent les données palynologiques de l’embouchure du Niger. Leur localisation actuelle, en plusieurs secteurs de superficie restreinte, est la conséquence de la dernière grande fracturation forestière de la fin de l’Holocène il y a 3300 ans.
Des approches phylogénomiques ont été lancées sur P. milanjianus à partir des techniques de séquençage haut débit (genome skimming) par capture du plastome, et de plusieurs régions nucléaires ribosomales et mitochondriales sur l’ensemble de l’aire de distribution de l’espèce. Malgré un faible niveau de polymorphisme détecté, le signal phylogéographique mis en évidence permet d’inférer l’historie évolutive des populations actuelles dont l’origine s’étendrait de 1.8 à 0.8 Ma, ce qui confirme les données palynologiques. Plusieurs vagues de migration peuvent être proposées par isolement de lignées entre Afrique centrale et Afrique orientale, avec des connexions en particulier au niveau du Cameroun et du Kenya. Une telle démarche phylogéographique permet ainsi de discuter de la localisation et du rôle des couloirs de migration dans la distribution actuelle des podocarpes. Enfin, les données de génotypage microsatellites visent à retracer les effets de la fragmentation sur la connectivité des massifs, en particulier le long de la ligne volcanique du Cameroun afin de confronter les scénarios démographiques inférés par la génétique aux données paléoenvironnementales.
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