Une chronique en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle : Marc-André Selosse vous raconte les jeunes pousses du printemps car, oui, c'est de saison ! Leurs feuilles sont parfois plus rougeâtres que celles des parties âgées. Cela se voit sur les photinias et les rosiers, observez-bien !
Observez les jeunes pousses des rosiers dans la nature ou dans votre jardin ! Et plein d'autres plantes à fleurs © Getty / Serge Nguyen / EyeEm
Sous les tropiques, les jeunes pousses peuvent être jaunes, comme celle du cacaoyer, ou encore, chez certaines plantes proche du café, bleutées !
Pourquoi cela ?
Sur le rosier (rien d’autre, hein), faites une dégustation : goûtez d’abord les feuilles vertes – juste un goût de salade. Recrachez, puis goûtez les jeunes feuilles : elles sont bien plus tendres, mais plus amères et astringentes ; la bouche semble râpeuse après coup. Elles sont pleines de molécules phénoliques appelées tannins ! Certains sont incolores, d’autres jaunes, d’autres enfin rouges ou bleus : ces derniers, les anthocyanes, colorent aussi les fleurs et les fruits – et jusqu’au vin rouge !
Quel est le rôle de ces tannins ?
Ce sont des molécules protectrices des plantes et ils déchaînent leurs bienfaits dans les jeunes pousses. D’abord ils protègent des herbivores. Ces parties sont tendres car elles sont en pleine croissance et ne peuvent encore se rigidifier, car cela les empêcherait de grandir. Leurs cellules sont riches en protéines et en sucres qui servent à la croissance… À priori, les animaux devraient les préférer ! Mais les tannins les rendent immangeables : ces molécules sont très indigestes car elles bloquent les enzymes digestives… Vous le savez si vous avez abusé de fruits trop peu mûrs, riches en tannins, dans votre enfance !
Par sa couleur, cette défense est préventive : les animaux qui ont croqué ces pousses colorées et s’en sont trouvés indisposés peuvent mémoriser la couleur et l’éviter. Ils mangeront donc de préférence les parties âgées, et non celles qui portent l’avenir de la plante !
Vous parliez de rôles multiples ?
Oui, parce que ces pousses qui sont placées hors du feuillage de la plante, au soleil, sont exposées aux excès de lumière et d’ultraviolets… En quelque sorte, elles risquent des coups de soleil ! Les tannins protègent de la lumière de deux façons. D’abord, ils inactivent les radicaux libres, des molécules toxiques que produisent les dégâts de la lumière dans les cellules. Mais surtout, la couleur de certains d’entre eux, comme les anthocyanes, renvoie certaines longueurs d’onde reçues : celles qui font la couleur ne rentrent pas dans les tissus.
Vous me direz que les autres longueurs d’onde rentrent, elles : par exemple, celles qui sont qui ne sont pas rouges dans le cas des pousses du rosier. Cependant, elles sont captées par ces tannins colorés, ce qui les inactive. Bien plus, les tannins restituent lentement l’énergie absorbée sous forme… d’une légère chaleur ! Au printemps, face aux gelées tardives, comme le week-end dernier, c’est une protection contre le gel. De plus, le gel entraine la formation de radicaux libres toxiques, et là aussi, les tannins veillent !
Une protection tous-azimuts !
Véritables couteaux suisses des plantes, les tannins sont au cœur de leur biologie. J’en veux à une certaine littérature sur l’intelligence et la sensibilité des plantes qui oublie de nous parler de ces caractéristiques-là. Pourtant, c’est l’essence de la plante et sa différence avec nous !
▶︎ Et on retrouve plein d’histoire de tannins dans Les goûts et les couleur du Monde, votre livre paru chez les éditions Actes Sud.