La forme de l’arbre en forêt n’a rien de spontané ! C’est une sculpture que nous voyons quotidiennement en méconnaissant les auteurs : des champignons sculpteurs du vivant.
La forme des arbres en forêt © Getty / Roc Canals
Quand il était plus jeune, l’arbre était un arbuste chargé de branches proches du sol. Or, il pousse par en-haut : il devrait donc rester des branches basses et d’ailleurs un arbre au milieu d’une pelouse est encore ramifié à sa base… Bien sûr, me direz-vous, en forêt, les branches basses meurent faute de lumière. Oui, mais elle ont occupé un plus grand volume que le tronc et il devrait au moins rester des branches mortes… Or, elles ont disparu : on dit qu’elles ont été élaguées.
Mais, parfois, il y a des branches basses mortes, dans certaines forêts ?
Oui, mais dans des plantations d’espèces introduites : les épicéas plantés en plaine (alors qu’ils sont normalement montagnards), ou les pins « insignis » et les cyprès en Bretagne, introduits d’Amérique, ou encore les Douglas, des Pseudotsuga également américains. Que leur arrive-t-il donc, alors que les espèces indigènes s’élaguent bien ?
C’est que l’élagage naturel est en fait… microbien !
Des champignons attaquent les branches basses, et ils sont spécifiques de chaque espèce d’arbre. Ce sont soit des parasites des branches affaiblies par l’ombrage, soit de simples décomposeurs de bois morts : ils ne pénètrent pas dans le tronc et disparaissent une fois la branche résorbée. Ces microbes n’ont pas toujours été introduits avec les arbres exotiques et les champignons locaux n’y peuvent rien : je vous le disais la semaine dernière, introduire un arbre seul n’a pas de sens, il nécessite toujours des alliés qui lui sont vitaux.
Mais en quoi l’élagage est-il vital ?
Ça l’est tout d’abord pour nous, car sinon les planches sciées dans le tronc auraient plein de nœuds, correspondant aux vieilles branches incluses dans le tronc lors de sa croissance en diamètre ! Ils tomberaient ou dévaloriserait le matériau, techniquement et esthétiquement.
Mais surtout, l’élagage naturel est vital car une branche morte ou affaiblie met en communication l’extérieur et le cœur du tronc : c’est une voie d’entrée pour des parasites qui dévoreraient le cœur du tronc et le fragiliseraient face au vent… En éliminant la branche morte, les champignons qui élaguent favorisent une cicatrisation et une fermeture de l’écorce autour du point d’où partait cette branche. Le tronc devient alors lisse, protégé par l’écorce ! Et sa structure est plus résistante au vent que si elle englobait des branches mortes ou moribondes.
Ces champignons sont des bienfaiteurs ?
Oui ! Cela appelle deux conclusions :
- Premièrement, l’acquisition de la forme d’un organisme passe par la mort de certaines parties. Regardez vos doigts : ce qui les a séparés, c’est la mort des cellules qui les reliaient dans l’embryon que vous avez été
- Deuxièmement, les microbes remplissent de très nombreuses fonctions. Ici, ils façonnent le tronc et les propriétaires qui doivent payer un élagage manuel des espèces exotiques en connaissent la valeur !
▶︎ "La chronique du vivant" de Marc-André SELOSSE, en partenariat avec le Muséum national d’Histoire naturelle. D’autres histoires de microbes dans son livre"Jamais Seul" (éditions Actes-Sud)