Mieux connaître les souris (et arrêter de les confondre avec les rats)

 

Une petite silhouette sombre à longue queue et museau pointu traverse votre cuisine le soir ou se déplace entre les rails du métro la nuit en fin de service. S’agit-il d’un petit rat ou d’une souris domestique ? Pour identifier ce rongeur, il nous faut en connaître les caractéristiques morphologiques. Tout d’abord sa petite taille permet de le distinguer du rat. En effet la souris domestique pèse de 14 à 31 grammes et mesure de 6 à 11 cm pour le corps contre 230 à 500 g et 19 à 30 cm pour le rat brun.


Incisives de Mus musculus. Author provided

Sa queue lisse dépourvue de poils est égale ou légèrement supérieure à la longueur de son corps (6,5 à 10 cm). Elle possède un petit pied (14-19 mm contre 31-43 mm pour le rat brun). Comme tous les rongeurs, elle est dotée de deux paires d’incisives à croissance continue. À la différence du rat, les incisives supérieures présentent un petit crochet unique dans ce groupe. Au sein des rongeurs, les souris (genre Mus) appartiennent à la tribu cosmopolite des Murini qui comprend 41 espèces, toutes de petite taille. Le rat lui appartient à la tribu des Rattini qui comprend 185 espèces. Ces deux tribus ne sont pas proches dans la classification.

Une première phylogénie moléculaire a montré que le genre Mus est divisé en quatre sous-genres qui correspondent à des zones géographiques et possèdent des génomes distincts. Ainsi le sous-genre Coelomys se rencontre uniquement en Asie, le sous-genre Pyromys (Asie), le sous-genre Nannomys (Afrique) et Mus en Eurasie. Selon Steppan et Schenk c’est dans ce groupe qu’on trouve Mus musculus proche parente de trois autres espèces de souris rencontrées en Europe (M. spicilegus, M. macedonicus, M. spretus).

Suzuki et coll. indiquent que la divergence entre ces espèces daterait de 1,7 million d’années et se serait produite dans une large région englobant l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan et le nord de l’Inde.

Des paléontologistes ont retracé la lente migration de la souris domestique vers l’ouest de l’Europe. Présente au Moyen-Orient dans les premières cités humaines, elle semble être devenue commensale (c’est-à-dire littéralement qui mange à la même table que nous) dès ce temps entre 12 000 et 8 500 av. J.-C. en Israël et en Syrie. Elle serait ensuite arrivée à Chypre et en Crète vers 8 500-6 000 av. J.-C. et enfin dans le sud de la France autour 1 000 ans av. J.-C. à l’aide des navires phéniciens, grecs. La souris domestique aurait ensuite suivi les armées romaines et leurs provisions pour se disperser vers le Nord par la terre et s’établir un peu partout en France et en Europe.

Comment vit-elle ?

D’une manière générale, les souris se sont adaptées à de nombreux environnements elles peuvent vivre sous les tropiques mais également dans les milieux sub-antarctiques et peuvent subsister en milieux relativement arides. En Europe occidentale, ce sont les mêmes populations de souris domestiques qui vivent à la fois en milieu urbain et campagnard.

Ainsi, en ville, la souris domestique habite dans les immeubles, les maisons, les entrepôts, les friches tandis qu’à la campagne elle préfère les champs cultivés, les haies, les meules de foin. Que ce soit dans la nature ou en ville, la souris domestique vit dans un terrier peu profond (3 à 5 cm sous la surface) mesurant de 10 à 83 cm construit près d’une source de nourriture et d’eau. Les tunnels mesurent deux à trois cm de diamètre, ce qui est juste assez pour laisser passer un individu. Néanmoins la souris domestique à la capacité de se glisser dans des ouvertures encore plus petites. Les terriers sont occupés par un mâle ou une femelle ou parfois les deux.


Souris à Elsenheim (Bas-Rhin, France). Gzen92/Wikimedia, CC BY

Le régime alimentaire de la souris domestique est très varié on dit qu’elle est omnivore. En ville elle consomme différentes sortes de graines dont des céréales, des fruits, du pain, de la farine, du riz, du blé, du chocolat, des gâteaux, des chips, des noix, les aliments de nos animaux domestiques ou nos aliments. Elle adore aussi le savon, la paraffine, les bougies, elle peut ronger les mousses synthétiques, le plâtre, le bois, le métal. Pour la confection du nid, elle utilise du papier, des vieux vêtements, de la sciure ou tout matériau douillet. On dit que c’est un commensal à qui il faut entre 17 et 35 g de nourriture par jour et autant d’eau. À la campagne son régime alimentaire comporte des graines, des herbes, des vers de terre, des chenilles, des insectes.

C’est un animal nocturne ou crépusculaire. La souris domestique vit en groupes familiaux territoriaux stables de taille variable d’environ 10 individus (dont 4 à 7 adultes actifs). Il existe des mâles et des femelles dominants au sein du groupe hiérarchisé. Ainsi le mâle dominant défend les ressources et les femelles de son groupe. Il existe une agressivité forte envers les individus des autres groupes.

Pour une aussi petite bête, la longévité en milieu sauvage est de 12 à 18 mois tandis qu’en laboratoire elle atteint 4 à 5 ans. Sa longévité dans les villes n’est pas connue.

Pour communiquer, la souris domestique utilise son odorat très développé ou des vocalisations inaudibles pour l’oreille humaine. Il existe ainsi des vocalisations pour la copulation entre mâles-femelles (ultrasons 40-70 kHz) ou pour la communication des femelles entre elles. Les souris détectent les phéromones dans l’urine de leurs congénères et sont capables de reconnaître leur statut reproducteur.

La femelle possède 10 mamelles. À partir de 15 g (soit environ deux mois après sa naissance) elle est capable d’avoir 5 à 7 petits en moyenne (jusque 12 en captivité) après une gestation d’environ 20 jours. La femelle élève seule ses petits ou en communauté avec d’autres femelles. Dans ce cas les nids et soins aux jeunes se font en commun. En ville elle se reproduit toute l’année alors que dans la nature le pic de naissances se situe au printemps et à l’automne. On compte qu’une femelle peut avoir de 15 à 150 jeunes par an. À la naissance, les souriceaux nus et roses pèsent 2 g. Ils ouvrent les yeux à 13 jours et sont sevrés au bout de 21 jours environ.

Les souris ne sont pas néophobiques mais néophiles contrairement aux rats ! Elles ont ainsi la capacité d’explorer plus facilement de nouveaux territoires et de nouvelles nourritures. De plus, elles sont très douées pour l’escalade et elles peuvent sauter haut. Celles élevées au froid consomment plus et sont plus lourdes. Il a été montré que les souris élevées à 3 °C contre 23 °C sont plus fertiles, ont des portées plus grandes et sont mûres sexuellement plus tôt, ce qui expliquerait pourquoi l’on trouve souvent des souris dans les entrepôts frigorifiques.

Les populations de souris trouvées à proximité de l’homme dans les fermes peuvent varier de 1 à 700 souris/ha mais dans les bâtiments cela peut atteindre 1 500 souris/ha. En moyenne on compte une souris/m2 en ville contre 1 pour 100 m2 à la campagne. Les mâles adultes ont un plus grand territoire que les femelles et se déplacent plus loin. Ainsi la surface de leur territoire varie selon les travaux de Mikesic & Drickamer 1992 de 148 à 462 m2. Chaque femelle adulte a un territoire qui déborde sur celui d’un mâle actif mais ce dernier n’est pas exclusif et son territoire recouvre celui de plusieurs femelles. La surface du territoire des femelles est en moyenne de 235 m2. Chez les mâles plus le poids augmente plus le territoire est grand.

Dois t-on les considérer comme nuisibles ?

Il est connu que la souris domestique peut s’attaquer aux câbles électriques et provoquer des incendies, ronger le bois, faire des dégâts aux meubles, ronger le papier des livres ou consommer de la nourriture destinée aux humains ou aux autres animaux domestiques.

En explorant les zones riches en nourriture, elle peut contaminer ces dernières par son urine et ses excréments. Ainsi, la souris domestique peut transmettre des bactéries et des virus dangereux pour l’homme comme des salmonelles, des hantavirus ou la leptospirose.

Certaines personnes ont une peur panique à la vue des souris encore appelée musophobie, ce qui peut les stresser. Elle fait partie de la liste des 100 espèces les plus invasives du monde. Dans certains pays la souris domestique peut causer des dommages considérables aux cultures. Elle est impliquée dans l’extinction d’espèces natives dans les écosystèmes envahis et notamment dans les îles où des campagnes d’éradication sont en cours à l’aide d’appâts empoisonnés. Cependant il est difficile de se débarrasser des souris domestiques d’autant qu’elles deviennent résistantes aux anticoagulants tout comme les rats.

Plus inquiétant, l’abondance des souris domestiques semble contrôlée par celle des rats. Si on enlève un nombre significatif de rats, la population de souris domestiques augmentera significativement (Witmer et coll. 2007). Les experts préconisent donc de synchroniser la lutte contre les rats et les souris d’une même zone.

Enfin on estime à un million environ le nombre de souris domestiques de laboratoire qui payent chaque année un tribut à la société humaine de par leur contribution aux recherches sur la santé humaine ou sur l’environnement. Elles sont utilisées depuis le XVIIIe siècle à des fins expérimentales et auraient été utilisées par Mendel pour découvrir les lois de la génétique moderne. Il existe actuellement plus de 450 lignées de souris de laboratoire dont certaines font l’objet de manipulations génétiques, ce qui en fait le modèle animal le plus utilisé.

En tant qu’animal de compagnie, la souris peut prendre des couleurs très variées et elle est appréciée pour son intelligence et sa capacité à être apprivoisée. Sur cette espèce particulièrement bien étudiée, il subsiste encore un très grand nombre de travaux à mener pour comprendre ses capacités d’adaptation extraordinaires.

Cet article est une collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité, Muséum national d’Histoire naturelle, Sorbonne Universités). Ils proposent une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.

Christiane Denys, Professeure du Museum, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Publié le : 02/12/2019 09:41 - Mis à jour le : 14/01/2020 09:52