À la découverte du pika « chou », un animal étonnant menacé par le changement climatique

Au moins quatre espèces de pikas sont en danger d’extinction, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature.
Au moins quatre espèces de pikas sont en danger d’extinction, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature.
L’article de Violaine Nicolas-Colin, professeure ISYEB, paru le 7 aout 2025 dans le journal The Conversation
Les pikas, avec leurs petites oreilles rondes et leur cri perçant, sont devenus des stars des réseaux sociaux. Malgré leur nom, ils n’ont pas inspiré l’emblématique Pokémon Pikachu. Mais ces lagomorphes, plus proches des lapins que des rats, dont le mode de vie est plein de surprises, sont aujourd’hui menacés par le changement climatique et par les activités humaines.
Avec leur petite bouille craquante, leurs oreilles rondes façon peluche et leur cri aigu à faire sursauter un caillou, les pikas ont conquis les réseaux sociaux
Les vidéos virales sont légion : on les admire perchés sur un rocher, joues pleines d’herbes voire de fleurs ou encore poussant leur fameux cri évoquant un « piiiik ! ».
Extrait d’un documentaire de la chaîne britannique BBC sur le pika.
Mais derrière cette adorable façade se cache un animal étonnant, au mode de vie bien plus complexe qu’il n’y paraît. Surtout, son habitat est aujourd’hui menacé par les activités humaines.
Non, les pikas n’ont pas inspiré Pikachu
Commençons par tordre le cou à un mythe tenace : malgré leur nom qui pourrait prêter à confusion, les pikas n’ont rien à voir avec Pikachu, la mascotte électrique de Pokémon.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le Pokémon Pikachu n’a pas été inspiré par les pikas. Sadie Hernandez, CC BY-SA
Le créateur de la saga, Satoshi Tajiri, a expliqué dans une interview que le nom vient d’onomatopées japonaises : pikapika (« étincelle ») et chu (le cri de la souris). Pikachu est donc censé être une souris… et non un pika. D’ailleurs, avec leurs oreilles arrondies et leur queue invisible, les vrais pikas ne lui ressemblent pas du tout !
Contrairement à ce que leur apparence pourrait laisser penser, les pikas ne sont d’ailleurs pas des rongeurs : ce sont des lagomorphes, comme les lapins et les lièvres. Leur dentition le prouve : deux paires d’incisives à la mâchoire supérieure (contre une seule chez les rongeurs), et une paire en bas. Ce détail anatomique les classe dans un autre groupe bien distinct.
Les pikas font partie de la famille des Ochotonidae. Petits (moins de 30 cm), dotés de courtes oreilles rondes (moins de 4 cm), d’une queue cachée et d’un crâne sans « processus supraorbital » (c’est ainsi que l’on nomme un relief osseux), ils diffèrent des léporidés (lapins et lièvres), leurs cousins aux grandes oreilles et aux queues visibles.
Leur famille ne compte plus qu’un seul genre vivant : Ochotona, composé de 34 espèces. Il n’existe donc pas une seule, mais plusieurs espèces de pikas !
Il existe plus de 30 espèces de pikas différentes (ici, pika américain). US Geological Survey
Ce nombre continue d’évoluer grâce aux recherches récentes qui continuent d’identifier de nouvelles espèces, et en particulier grâce aux études basées sur l’ADN.
L’ancêtre commun des pikas actuel daterait du Miocène (il y a environ 23 millions d’années). Les pikas sont originaires du plateau tibétain-Qinghai et se sont ensuite dispersés et diversifiés dans d’autres régions de l’Eurasie et de l’Amérique du Nord.
Des « lièvres criards » à l’habitat diversifié
Les pikas vivent en Asie (32 espèces), et en Amérique du Nord (2 espèces, dont le pika à collier et le pika américain). Selon leur espèce, ils occupent deux types d’habitats : les milieux rocheux et montagneux, ou bien les prairies et les steppes.
Spécimen de pika à collier (Ochotona collaris). Animalia, CC BY-SA
Les premiers utilisent les éboulis comme refuge, tandis que les seconds creusent des terriers où ils stockent des plantes pour l’hiver. Car, non, les pikas n’hibernent pas : ils passent la mauvaise saison à l’abri, sur leurs réserves.
Ce qui explique que l’on voit autant de vidéos de pika transportant des plantes dans la gueule vers leur abri ! Les pikas des prairies et des steppes ont tendance à se reproduire plus souvent et à avoir des portées plus nombreuses, mais vivent généralement moins longtemps que ceux habitant les milieux rocheux ou montagneux.
Un trait bien connu chez les pikas est leur propension à vocaliser. Leur sifflement strident, qui leur vaut les surnoms de « lièvres siffleurs » ou « lièvres criards », sert à avertir leurs congénères d’un danger ou à défendre leur territoire. Dans les paysages de montagnes, leur cri retentit comme un signal d’alerte minuscule, mais efficace.
Un régime alimentaire… un peu spécial
Les pikas sont principalement herbivores… avec une particularité. Comme leurs cousins les lapins, ils pratiquent la cæcotrophie : ils mangent une partie de leurs excréments (les cæcotrophes) pour mieux digérer les fibres et récupérer certains nutriments produits par les bactéries de leur intestin.
Autrement dit : un repas en deux services ! Mais ils vont parfois plus loin : certaines espèces, comme le pika à lèvres noires, peuvent même manger les crottes… d’autres animaux !
Sur le plateau tibétain, où les températures descendent jusqu’à -30 °C, cette espèce ralentit son métabolisme l’hiver et complète son alimentation en consommant… des crottes de yak.
Des boules de poil en danger d’extinction
Malheureusement, tout n’est pas rose pour ces petites boules de poils. Quatre espèces sont déjà officiellement considérées comme en danger d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) : Ochotona argentata, O. koslowi, O. hoffmanni et O. iliensis.
Le pika de Koslov (O. koslowi), en danger d’extinction, est une espèce endémique en Chine. Planche zoologique de 1890
En cause, la destruction des habitats par la déforestation, par le surpâturage, ou par les effets du changement climatique. En raison de leurs capacités de dispersion limitée et de leur habitat fragmenté, il leur est difficile de se déplacer pour trouver un habitat plus favorable.
L’avenir de beaucoup d’autres espèces de pikas n’a encore fait l’objet d’aucune évaluation, car les données disponibles sur leurs populations et leur écologie sont insuffisantes.
Poussés vers les sommets, mais pas toujours capables d’y survivre
Reste que beaucoup d’espèces de pikas sont biologiquement adaptées à des environnements hivernaux froids. Avec le réchauffement climatique, ils pourront soit remonter vers le nord (ce qui leur est souvent difficile dans des environnements de plus en plus fragmentés), soit s’établir à des altitudes plus élevées… ce qui risque de leur poser problème en raison du manque d’oxygène.
Des chercheurs ont ainsi comparé dix espèces de pikas dont l’habitat se situe entre le niveau de la mer et plus de 5 000 mètres d’altitude.
Ils se sont intéressés à trois gènes présents dans les mitochondries – les minuscules « centrales énergétiques » que l’on trouve à l’intérieur de chaque cellule. Ces gènes permettent à l’organisme d’utiliser l’oxygène pour produire l’énergie dont il a besoin. Chez les pikas de haute altitude, les protéines produites par ces gènes sont particulièrement efficaces : elles permettent de tirer un maximum d’énergie de l’air raréfié en oxygène. Mais chez les pikas vivant plus bas, ces protéines fonctionnent différemment : elles produisent plus de chaleur, ce qui est utile pour rester au chaud, mais elles sont moins bonnes pour générer de l’énergie cellulaire.
Résultat : si ces pikas des basses terres sont contraints de grimper pour échapper au réchauffement climatique, ils risquent de ne pas survivre là-haut. Leur corps n’est tout simplement pas fait pour fonctionner avec si peu d’oxygène.
La disparition des pikas ne serait pas anodine. Dans des écosystèmes comme le plateau tibétain, où ces animaux sont trop souvent tués à cause de la croyance erronée selon laquelle ils dégraderaient les cultures, ces animaux jouent un rôle important dans la chaîne alimentaire et le fonctionnement global des milieux naturels. Leur déclin pourrait entraîner des déséquilibres majeurs.
Violaine Nicolas Colin, Maitre de conférence en systématique et phylogéographie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.