Bien qu’elles s’hybrident au pied des Pyrénées, les deux espèces de crapauds accoucheurs présentes en France échangent peu de gènes et ajusteraient peut-être leurs chants d’accouplement afin de s’éviter. C’est ce que suggère une étude tout juste publiée dans la revue PLoS ONE.

 

 

Une des façons de comprendre comment les espèces se forment est d’étudier leur isolement reproducteur en regardant ce qu’il se passe dans les zones géographiques où elles se rencontrent, et éventuellement s’hybrident. C’est ce qui a motivé Johanna Ambu (doctorante à Nanjing Forestry University) et Christophe Dufresnes (maître de conférences et chargé de collection Amphibiens à l’ISYEB) à examiner la zone d’hybridation entre deux espèces d’alytes dans le sud-ouest français. Les alytes sont des petits amphibiens dont les sifflements flutés animent nos soirées printanières. Ils sont également connus sous le nom de « crapauds accoucheurs », un diminutif qu’ils doivent au fait que le mâle, après l’accouplement, porte les œufs sur son dos jusqu’à ce qu’ils soient prêts à éclore, garantissant ainsi aux têtards une meilleure survie. 

Deux espèces d’alytes sont présentes en France, l’alyte européen (Alytes obstetricans), et son penchant méridional l’alyte catalan (Alytes almogavarii). Ces espèces étant jusqu’à très récemment (2020) regroupées en une seule espèce, les critères de distinction et leurs répartitions respectives restent fort méconnus, ce qui limite les actions concrètes pour la protection des populations. Localiser et étudier leurs zones de contact a donc un enjeu à la fois pour les connaissances fondamentales en biologie évolutive et appliquées pour la biologie de conservation.

Dans leur travail, les chercheurs se sont notamment appuyés sur le réseau de bénévoles de la société herpétologique de France (SHF) afin de mutualiser de nombreux échantillons d’ADN prélevés sur le terrain – seule façon fiable d’identifier nos espèces d’alytes et leurs hybrides à l’heure actuelle. Les résultats montrent que l’alyte catalan est réparti sur l’ensemble des Pyrénées Orientales, la majeure partie de l’Aude où il remonte jusqu’à la Montagne Noire, et s’étend plus à l’ouest en Ariège, jusqu’à rencontrer l’alyte accoucheur dans les environs de Foix. Bien que les deux espèces s’hybrident, les traces de mélange génétique disparaissent dès les premiers kilomètres adjacents à leur zone de contact, et certains gènes ne se mélangent même pas du tout. Cela signifie que les hybrides souffriraient de problèmes de viabilité et/ou de fécondité, diminuant ainsi leur capacité à propager leur héritage génétique métissé. Une telle imperméabilité aux gènes étrangers est généralement un signe d’incompatibilités entre les génomes, et donc de barrières reproductrices efficaces.

Dans ces situations, certains amphibiens évitent les accouplements inter-espèces indésirables en évoluant des chants différents, un mécanisme qualifié de « renforcement ». Quand est-il chez nos alytes ? Des analyses d’enregistrements audio montrent que les chants de l’alyte européen et de l’alyte catalan sont globalement similaires en dehors des zones de contact, mais deviennent beaucoup moins variables au point de ne plus se chevaucher dans le secteur d’hybridation de Foix, où le risque de se croiser est maximal. Il reste maintenant à étudier si ces « accents locaux » permettent véritablement aux femelles et aux mâles de chaque espèce de distinguer les bons partenaires, afin de ne pas gaspiller ses œufs pour les unes, ni le temps de s’en occuper pour les uns.

L’étude confirme donc que nos alytes correspondent bien à deux espèces distinctes dont l’intégrité génétique est maintenue malgré les opportunités d’hybridation, et met en lumière les interactions potentielles entre barrières génétiques et comportementales à la reproduction. La mise à jour de leurs distributions offre également un point de départ bienvenu pour intégrer l’alyte catalan dans les programmes de conservation de notre herpétofaune. Cet amphibien localisé, qui dépend de points d’eau permanents pour sa reproduction, est confiné à la région de France la plus fortement affectée par les problématiques de sécheresse.

 

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Article consultable en OpenAccess sur le site de PlosOne

  • Ambu, J., & Dufresnes, C. (2024). Genomic and bioacoustic variation in a midwife toad hybrid zone : A role for reinforcement ?

PLOS ONE, 19(11), e0314477. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0314477

article hybridation en chanson C.Dufresnes

 

 

 

 

 

 

Publié le : 26/11/2024 11:09 - Mis à jour le : 26/11/2024 11:49