Sujet de thèse
(Thèse soutenue le 16 décembre 2022)
Descriptif du sujet de thèse et méthodes
La présence de queues sur les ailes postérieures est très fréquente chez les papillons. C’est un caractère très variable, par sa forme, sa taille, sa position mais également sa présence : on trouve en effet des queues dans de nombreux groupes, mais elles sont remarquablement absentes de certains. Quels sont les facteurs impliqués dans la diversification de ce trait ?
Les queues des papillons de nuit comme les Saturniidae ont été bien étudiées : elles ont évolué plusieurs fois indépendamment, et ces convergences ont été interprétées comme des adaptations à l’échappement aux chauve-souris1. En effet, le signal acoustique des queues détourne les attaques des parties vitales de l’insecte2.
De façon surprenante pour un caractère aussi marquant, l’évolution des queues chez les papillons de jour est en comparaison remarquablement méconnue. Leur diversification est-elle neutre ou adaptative ? Quelles pressions de sélection agissent sur leur évolution ? Plusieurs hypothèses peuvent être formulées.
(1) Déflection : les queues pourraient attirer les attaques de prédateurs diurnes. Elles sont d’ailleurs souvent associées à des motifs colorés particuliers – notamment des ocelles, qui sont connus pour leur effet anti-prédateur3. Cette hypothèse a été validée chez les Lycaenidae4 et pourrait s’appliquer à d’autres groupes.
(2) Sélection sexuelle : les mâles portent plus généralement que les femelles des queues souvent très colorées. Comme les queues d’oiseaux, elles pourraient constituer un signal honnête de qualité pour les femelles, en particulier si elles engendrent un coût (par exemple aérodynamique5). Les queues sont d’ailleurs souvent absentes chez les femelles (mais la situation est parfois inversée, en particulier lorsque les femelles sont impliquées dans des cercles mimétiques (e.g. Papilio memnon)).
(3) Aérodynamique : Quel est l’impact aérodynamique des queues ? L’étude en soufflerie de Graphium policenes a montré que les queues, a contrario de l’hypothèse de signal honnête, pouvaient améliorer les performances aérodynamiques, notamment en stabilisant le vol plané6. L’évolution des queues pourrait donc être liée à une écologie impliquant une importance particulière du vol plané, comme par exemple chez les espèces de canopée.
Nous proposons d’étudier l’évolution des queues et de tester ces hypothèses chez les Papilionidae (Swallowtails ou porte-queues). En effet, ce groupe bien diversifié (c. 550 espèces) contient de nombreuses espèces avec queues, de tailles et de formes diverses, mais également sans queue, ce qui rend particulièrement prometteuses les analyses comparatives. Sa phylogénie a fait l’objet de mises à jour récentes et est bien établie7-9. C’est en outre un groupe particulièrement étudié et relativement bien connu d’un point de vue écologique. Enfin plusieurs espèces s’élèvent facilement, ce qui rend possible l’expérimentation au laboratoire.
Nous combinerons trois approches :
(1) Analyse phénotypique des spécimens de collection. Ce volet visera à quantifier la variabilité des queues dans la phylogénie des Papilionidae. Nous mettrons à profit la collection de papillons du Muséum pour phénotyper en premier lieu les 203 espèces séquencées par (9). La forme des ailes antérieures et postérieures sera quantifiée par morphométrie géométrique, permettant en particulier la comparaison quantitative des formes et tailles des queues entre espèces dans un contexte phylogénétique10. Cette approche permettra de tester la neutralité de l’évolution des queues et de proposer le cas échéant des hypothèses de convergence. Nous comparerons les vitesses d’évolution entre clades, dans une perspective écologique et bio-géographique11.
(2) Analyse expérimentale de la prédation. Ce volet consistera à tester, notamment chez l’espèce Papilio machaon – facile à élever – l’hypothèse que les queues ont un effet déflecteur d’attaque d’oiseaux. Il s’agira de présenter à des oiseaux en captivité (Mésange) des papillons intacts ou sans queues3. L’hypothèse de déflection sera testée en vol et au repos. Nous testerons la prédation sur plusieurs espèces obtenues dans le commerce.
(3) Analyse expérimentale des effets aérodynamiques. Cette partie repose sur une collaboration avec deux laboratoires de biophysique du vol (F. Muijres (Wagenigen) ; R. Godoy-Diana (ESPCI)), initiée autour d’un projet d’équipe sur l’évolution des formes d’ailes de papillons en relation avec le vol et l’écologie12. Nous filmerons en serre, à l’aide de caméras haute vitesse, le vol d’individus intacts et sans queues. La reconstitution 3D des trajectoires permettra de caractériser leur vol, selon une procédure mise au point au labo13,14. L’analyse cinématique des battements d’ailes alimentera un modèle CFD (Computational Fluid Dynamics) permettant de quantifier finement les performances aérodynamiques15. Cette analyse permettra en outre de tester l’idée que les queues pourraient constituer un handicap, dans le cadre de l’hypothèse de sélection sexuelle.
Références (Références de l’équipe en bleu)
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